“L’innocence de leur adolescence leur a été volée” : au procès pour corruption de mineurs du youtubeur ExperimentBoy

Quatre ans après l’ouverture de l’enquête par le parquet de Lyon, le procès du youtubeur Experimentboy s’est tenu mardi 17 septembre au tribunal judiciaire de Val de Briey, en l’absence du principal concerné. Six jeunes garçons ont porté plainte contre lui pour corruption de mineurs de 15 ans et de moins de 15 ans, pour des faits commis entre 2016 et 2018. Ils l’accusent d’avoir échangé avec eux des messages, photos et vidéos à caractère sexuel, alors qu’ils étaient mineurs et sous emprise. Le parquet a requis 10 mois de prison assortis d’un sursis, l’interdiction d’exercer une activité en lien avec les mineurs et l’inscription de son nom au fichier des auteurs d’infractions sexuelles.

Toujours le même profil : des garçons à l’apparence juvénile

Les premiers mots sont ceux, glaçants, des victimes. Sans un mot à son avocat assis près de lui, Quentin écoute, tête baissée, la lecture des témoignages de ceux qui, comme lui, ont décidé de porter plainte contre leur ancien youtubeur préféré. Ils sont six dans ce cas et au moins deux autres ont, eux, envoyé une lettre à la police. Si le procès a lieu, quatre ans après l’ouverture de l’enquête, c’est parce qu’un autre jeune homme, Mario*, les a tous contactés : il a recueilli leurs témoignages, monté un dossier et l’a envoyé au tribunal, avec une clé USB remplie de captures d’écran d’échanges avec le youtubeur.

En parallèle, dans le cadre du mouvement #balancetonyoutubeur lancé en 2018, l’enquête très documentée du média Numerama présentait aux yeux du public, en 2020, un nouveau portrait de Baptiste Mortier-Dumont, youtubeur star connu pour ses vidéos de vulgarisation scientifique. « Ses victimes sont toujours recrutées sur les mêmes critères », ce sont de jeunes garçons « à l’apparence juvénile« , écrit alors Mario. Certains plaignants ont été contactés sur des jeux vidéos en ligne, mais de nombreux plaignants sont d’anciens fans.

« Je me suis rendu compte que sa chaîne YouTube n’était qu’un moyen de rencontrer des jeunes hommes »

En avril 2017, Experimentboy répond au tweet de Quentin, sur X (anciennement Twitter). « C’était le plus beau jour de ma vie« , raconte-t-il, 13 ans au moment des faits, alors que le Youtubeur avait presque 10 ans de plus : « Il m’a contacté pour discuter, et comme je regardais ses vidéos, j’étais impressionnéet puis c’est très vite allé dans le registre sexuel« . Entendu par la police, il relate les conversations quotidiennes et les propositions sexuelles de la part du youtubeur : « Il fallait se masturber en vidéo« , cite-t-il par exemple, « j’avais seulement 13 ans« .

Lunettes sur le nez, en costume gris, Quentin, aujourd’hui 21 ans, est la seule victime présente au procès, accompagné de ses parents et ses proches : « J’étais très manipulé, je n’osais pas en parler parce qu’il y avait un climat de peur, un climat bizarre avec lui. Son but, c’était d’avoir de l’emprise sur moi« .

« Très vite, il a instauré une relation de confiance et d’amitié« , raconte Théo*, autre victime présumée qui connaissait aussi le youtubeur, à son audition : « Je l’ai cru, (…) mais c’était surtout des propositions, parfois c’était tous les jours. Il me décrivait des relations sexuelles qu’on aurait pu avoir« . Si le jeune refusait d’envoyer des photos ou vidéos d’eux à caractère sexuel, ou menaçait d’arrêter de lui parler, le youtubeur pouvait aussi menacer de se suicider, selon Quentin. « Vu que j’étais un fan, je faisais tout ce qu’il voulait« , raconte encore Thomas*.  » Il ne parlait que de sexe « , selon Anthonin, un autre plaignant, « je me suis rendu compte que sa chaîne YouTube n’était qu’un moyen de rencontrer des jeunes hommes« .

« C’est une vindicte populaire », selon l’avocat de la défense

Dans le cadre de l’enquête, Baptiste Mortier-Dumont a été entendu par la police. Il a déclaré connaître certains des jeunes hommes, d’autres non, tout en niant l’intégralité des faits reprochés. « Il avait un logiciel, un mode opératoire commun pour toutes ses victimes, je le qualifie de prédateur et de pervers narcissique, lâche Quentin, debout devant le juge. Il a même écrit à mon père pour que j’aille en vacances chez lui (…) il savait que j’étais jeune, il était sûr de mon identité et moi aussi  (…) il a brisé ma confiance, et aujourd’hui, il dit à peine connaître mon prénom« .

« Il a abusé de sa notoriété pour corrompre des mineurs et violé la responsabilité qu’il avait en tant que Youtubeur. L’innocence de leur adolescence leur a été volée« , déclare le procureur, au moment d’énoncer ses recommandations : 10 mois de prison assortis d’un sursis simple, interdiction d’exercer une activité en lien avec les mineurs et l’inscription de son nom au fichier des auteurs d’infractions sexuelles. « C’est une vindicte populaire« , réplique l’avocat d’Experimentboy, Maître Bruno Bourchenin avant de pointer du doigt le fait qu’aucune perquisition n’ait jamais été menée chez l’accusé et que les photos auraient pu être le résultat de « montages » : « On est en 2024 et les seuls éléments sur lesquels on se base, ce sont des impressions écran. Je ne dis pas que ce sont des montages bidons, je dis juste que ça aurait permis d’avoir un jugement éclairé. ».

 » Si vous êtes victimes de ça, vous avez le droit de parler et il faut le faire »

« Le doute profite à l’accusé, mais son client a refusé de répondre aux questions et de commenter les photos et vidéos existantes« , répond Maître Thomas Kremser, avocat des plaignants pour la Fondation pour l’enfance, qui regrette cependant « les propositions de peine totalement inadaptées« , pour cette affaire de corruption de mineurs qu’il n’hésite pas à qualifier d’affaire de « pédophilie« . « La justice fera son office, l’instruction a été complète et on a un individu qui cessera de nuire grâce aux démarches entreprises par les victimes« , conclue-t-il.

« C’est très important pour moi, j’ai pu exprimer mon point de vue, montrer que tout était réel, c’est un soulagement premier. J’ai l’impression d’avoir été entendu« , souffle Quentin d’une voix douce, à l’issue de l’audience : « J’ai fait trois heures et demie de route pour que les parents prennent conscience des choses. Même si les enfants ne parlent pas, il faut faire attention à leur vie numérique. Et pour les enfants, il faut faire attention avec qui on discute, certaines personnes sont dangereuses et si vous êtes victimes de ça, vous avez le droit de parler et il faut le faire*. Le délibéré sera rendu le 15 octobre prochain.

*Le prénom a été modifié pour préserver son anonymat.

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